Le gel, fléau des vignes
Cette première semaine d'avril a été très éprouvante pour nombre de vignerons de l'Hexagone. Les températures dignes d'un début d'été de la semaine passée ont fait éclore les bourgeons (ce qu'on appelle le débourrement). Or de fortes gelées matinales ont fait leur retour les 6, 7 et 8 avril, détruisant une grande partie de la récolte 2021 - jusqu'à 95% de pertes évaluées par certains vignerons. De nouvelles gelées sont annoncées pour la semaine prochaine, les vignerons se préparent donc à nouveau à lutter contre le froid et le gel. Et il leur faudra tenir jusque début mai et la période des saints de glace. Les semaines à venir risquent d'être longues...
Ce phénomène de gelées matinales n'est pas nouveau mais devient de plus en plus fréquent, à cause du dérèglement climatique. L'absence d'hiver rigoureux est souvent synonyme de retour du froid en avril ou début mai, alors que la végétation s'est déjà réveillée. Plusieurs techniques permettent aux vignerons de faire face au gel et de tenter de limiter les dégâts. Petit aperçu ci-dessous.
Les chaufferettes ou bougies
C'est sûrement la méthode la plus connue du grand public, et la plus efficace après l'aspersion d'eau (voir ci-dessous). Les bougies (aussi appelées chaufferettes - en fait de gros pots métalliques remplis de paraffine) sont disposées au milieu des rangs de vigne et allumées pendant la nuit, avant que ne s'amorce la baisse des températures. L'objectif est de réchauffer l'atmosphère (on gagne 2 à 3°C) pour éviter le gel des bourgeons. Il faut un minimum de 200 bougies par hectare et plus il va faire froid, plus il faut en disposer dans le vignoble (400 à 500 pour des températures entre -6°C et -7°C). Elles nécessitent une attention constante et peuvent maintenir les vignerons éveillés une bonne partie de la nuit. Elles sont éteintes une fois que les températures sont remontées au-dessus de 0°C, après le lever du soleil. Cette solution de lutte anti-gel demande beaucoup de main d'oeuvre et reste parmi les plus coûteuses : jusqu'à 2 500€ à 3 000€ par hectare, en fonction du nombre de bougies utilisées. Il est donc impossible aux vignerons cultivant de grandes surfaces de protéger toutes leurs parcelles de cette façon. Ils privilégient par conséquent les meilleurs terroirs. Cette technique est utilisée presque tous les ans par les vignerons de Chablis, vignoble de Bourgogne où les gelées de printemps sont extrêmement fréquentes. Ce moment critique donne lieu à de surprenants paysages nocturnes et à de magnifiques prises de vue pour les photographes.
L'aspersion d'eau
Cette technique est la plus efficace et elle donne également naissance à d'étonnants paysages. L'objectif : protéger les bourgeons par une fine couche de glace - c'est le principe de l'igloo, dans lequel la température reste positive alors qu'il peut faire très froid à l'extérieur. Le système d'aspersion d'eau est déclenché par une sonde lorsque la température descend en dessous de +1°C. Quand elle gèle, l'eau aspergée sur les vignes forme un cocon de glace et libère des calories qui protègent du froid le bourgeon qui est à l'intérieur. Il est nécessaire de maintenir un arrosage continu, jusqu’à ce que la température remonte au-dessus de +3°C. Une contrainte : cette technique nécessite d'avoir accès à un point d'eau dans les vignes, ce qui n'est pas le cas partout.
Les feux de paille
L'usage de ballots de paille est la solution la plus rustique et la plus fastidieuse. Elle est pourtant souvent utilisée par les vignerons, car moins coûteuse. Les ballots de paille sont disposés par les vignerons autour des parcelles à protéger. Dans ce cas, le résultat recherché n'est pas la production de chaleur, mais de fumée, qui va remplacer la couverture nuageuse. Les nuages empêchent les dégâts en bloquant les rayons du soleil au moment où ce dernier se lève - c'est la période la plus critique pour les bourgeons, celle où le froid, combiné à la lumière du soleil, grille les bourgeons. Les feux de paille sont donc allumés juste avant l'amorce du lever du soleil. Certains vignerons font aussi brûler les vieux ceps ou les vieux pieux qui pendant l'hiver ont été arrachés ou remplacés - tous les moyens sont bons...
Les tours antigel et les éoliennes
Les tours antigel et les éoliennes permettent de brasser l'air froid qui descend près du sol et l'air plus chaud qui remonte. Le mélange des deux permet de faire remonter les températures et d'éviter le gel. Cela nécessite donc que les températures globales ne soient pas trop froides, sinon on est en présence d'air froid uniquement (ce qu'on appelle les gelées noires, quand le vent vient du nord ou de l'est) et la technique de lutte est inutile voire dommageable. Si besoin, les vignerons complémentent donc l'usage des tours éoliennes par l'allumage de feux de bois ou de paille sur les parcelles à protéger. Les éoliennes les plus performantes sont cependant équipées d'un système de chauffage intégré : au-dessous d'une certaine température, une sonde déclenche déclenche le système de chauffage, la chaleur produite au pied de la tour remonte et est dispersée par les pales de l'éolienne. Un investissement lourd pour les vignerons : 43 000 € en moyenne, et pas moins de 25 000 € pour une éolienne portative sans système de chauffage. Mais les tours fixes, installées dans les parcelles les plus gélives, qui sont régulièrement à risque, peuvent couvrir jusqu'à 5 ha. Elles font donc souvent l'objet d'un investissement partagé entre plusieurs vignerons.
Les hélicoptères
Cette technique est apparue en Touraine en 2017, année où les vignerons de l'AOC Montlouis-sur-Loire ont décidé de faire appel à une flotte d'hélicoptères pour survoler le vignoble à basse altitude. Comme pour les éoliennes, les pales des hélicoptères brassent la couche d'air froid située au sol et les masses plus chaudes en hauteur. Le mélange permet de faire remonter les températures au sol et d'éviter les gelées.
Une solution beaucoup décriée par l'opinion public, mais qui présente des avantages certains : les coûts sont mutualisés par les vignerons, qui peuvent couvrir des surfaces importantes. Le coût d'intervention de l'hélicoptère est évalué à 250 € par hectare, ce qui est moins onéreux que la pose de bougies.
En conclusion...
Toutes ces techniques représentent un coût de production supplémentaire pour les vignerons. Qui devraient le répercuter sur le prix de la bouteille. Mais pas sûr que beaucoup le fassent au final...
Enfin, ces moyens de lutte contre le gel peuvent représenter une nuisance pour les riverains, qui se disent parfois gênés par le bruit des hélicoptères ou par la fumée des feux de paille... D'autres critiqueront l'impact environnemental de certaines de ces techniques (émission de CO2, consommation d'eau ou de gasoil...). Mais quand il s'agit de sauver une récolte et ce qui en découle - le travail d'une année et donc des rentrées d'argent, la survie d'une entreprise et parfois le maintien de plusieurs emplois salariés - les vignerons ne lésinent pas sur les moyens ni sur leurs efforts. D'autant plus que ce ne sont pas seulement les vignerons qui pâtissent des dégâts causés par le gel mais toute la filière viticole (tonneliers, fabricants et vendeurs de bouteilles, d'étiquettes, laboratoires d'analyse, syndicats viticoles...) Alors, solidarité avec les vignerons !
La lutte anti-gel en images
Pour conclure, je vous propose de découvrir une vidéo tournée à Saint Nicolas de Bourgueil la première semaine d'avril 2021 et présentant les différents moyens de lutte contre le gel.
En vidéo
En photo
Également un magnifique reportage photo réalisé le 27 avril 2016 à Chablis par le photographe Aurélien Ibanez. Moment crucial, moment de stress, moment tragique, mais qui donne au final de superbes clichés du vignoble et des vignerons.
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Jean luc Lhermitte (samedi, 10 avril 2021 18:09)
En tant que riverain, de tout cœur avec le monde viticole en ces temps difficiles, les forces de la nature sont bien présentes, est ce qu il ne faudrait pas repenser la plantation de haies, vignes plus hautes etc bon courage à tous les vignerons
Myriam Fouasse-Robert (dimanche, 11 avril 2021 12:15)
Bonjour,
Merci beaucoup pour ces mots de soutien.
Les haies ne feraient qu'aggraver le problème. Tout ce qui est végétal (herbe, haie, friche...) capte et retient l'humidité, augmentant ainsi les risques de gelée. La majorité des vignerons enherbent désormais l'inter-rang, et ils doivent être très vigilants et faire en sorte que celle-ci ne pousse pas trop haut au printemps, tant qu'il y a des risques de gelée.
Quant à la hauteur des ceps, cela pourrait être effectivement une solution. La façon de tailler la vigne est néanmoins réglementée par les AOC, il faudrait donc faire évoluer les cahiers des charges. Mais cela prendrait ensuite plusieurs dizaines d'années pour avoir un vignoble à taille correcte car c'est quand le cep de vigne est jeune qu'on commence à lui donner sa forme d'adulte, au fur et à mesure des campagnes de taille...