Prenons les choses dans le désordre : je vous emmène tout d'abord à Dalat (Đà Lạt en vietnamien), ville où sont élaborés les vins du pays. Dalat est une ancienne station climatique fondée par les Français dans les années 1880, à l'époque coloniale. Ils venaient y profiter de la fraîcheur des lieux, échapper aux chaleurs humides et étouffantes des régions côtières. A Dalat, qui est surnommée la ville du printemps éternel, le climat reste toujours frais (cela dit, tout est relatif, la fraîcheur vietnamienne correspondant plus à une chaleur agréable pour un Français, la ville est quand même située à 11 degrés de latitude nord, donc proche de l'équateur !). La raison : la ville est située à une altitude de 1700 mètres. La culture des raisins n'est pas possible ici, car il y fait trop frais et les fruits ne parviendraient pas à maturité. Par contre, les conditions sont optimales pour les vinifications et l'élevage du vin, alors que la plupart des régions vietnamiennes présentent des températures trop élevées. Les raisins sont donc acheminés en camions depuis la côte, où ils sont cultivés, jusqu'à Dalat. Certains vins issus de cépages européens sont mêmes élaborés avec des raisins produits en France et importés au Vietnam - pas très écologique, me direz-vous...

La superficie du vignoble vietnamien est d'environ 3 000 hectares. La plupart appartiennent à deux entreprises viti-vinicoles :

- Ladora Winery est celle qui a relancé la production de vin au Vietnam - elle avait cessé en 1975, lorsque le sud du pays était tombé aux mains des communistes - en replantant des vignes en 1998 et en élaborant un premier vin dès 1999. L'entreprise produit plus de 2,5 millions de bouteilles par an.
- Dalat Beco, créé en 2000 et dont le siège est situé dans les environs de Dalat, produit 900 000 bouteilles de vin par an. Cette entreprise se fournit exclusivement en raisins auprès de fermiers de la région de Ninh Thuan, située en bord de mer, à 130 km de Dalat.

J'ai profité d'une journée passée à visiter à moto les alentours de Dalat, accompagnée d'un guide, pour faire un arrêt dans un domaine viticole que j'avais repéré sur internet. De belles bâtisses en brique abritent les installations techniques,  que je n'ai malheureusement pas pu visiter -  mon guide a demandé au gardien présent à l'entrée si la visite était possible, mais les lieux ne sont pas ouverts au public, pour des question d'hygiène lui a-t-on expliqué. Dans une grande salle de dégustation, plusieurs formules permettent de goûter les vins du domaine. J'ai opté pour la dégustation de 3 vins... et j'ai été très déçue. Très sincèrement, c'était là le plus mauvais vin que j'ai pu goûter pendant mes différents séjours au Vietnam (tous les autres vins avaient été goûté dans des restaurants) : un Sauvignon Blanc, dans lequel les caractéristiques du cépage ne s'exprimaient pas du tout (je soupçonne le vin d'avoir été vieilli dans de vieux fûts, qui donnaient un goût défraîchi et désagréable au vin) ; un vin fait avec de la Syrah, sur la sucrosité - déroutant, et pas très bon à dire vrai ; et un vin demi-sec élaboré avec du Cardinal, à la robe tawny et assez écœurant. Je ne regrette néanmoins pas cette visite, cela valait le coup d’œil, et comme peu de domaines sont accessibles au public, c'était une des rares occasions qui se présentaient à moi.

Au fait, comment dis-ton 'vin' en vietnamien ? C'est écrit sur la bouteille sur la photo ! Vang est la transcription phonétique de vin. Đỏ signifie rouge, alors que vang trắng désigne du vin blanc. On trouve aussi souvent le terme rượu, qui lui fait référence à l'alcool en général.

Phan Rang est une ville côtière située dans la province de Ninh Thuan, à environ 130 km et 2h30 de route de Dalat. C'est autour de cette ville qu'est planté le vignoble vietnamien. On y cultive des raisins de table, qui servent dans certains cas à faire du vin. C'est le cas du Cardinal, cépage mis au point en Californie en 1939. Il présente de bons rendements, donne des raisins très sucrés qui se conservent bien et supportent bien le transport. Il permet d'élaborer une petite quantité de vins blancs, mais surtout des vins rouges. Son problème : son manque d'anthocyanes (i.e. les pigments des raisins rouges), ce qui donne des vins très pâles. Les Vietnamiens ajoutent donc du jus de mûre - le fruit du mûrier, cultivé dans la région de Dalat, dont les feuilles permettent de nourrir les vers à soie élevés dans la région - pour teinter le vin. Voilà un breuvage bien particulier, qui donne des qualités très variées. Le Cardinal est également parfois assemblé à de la Syrah.

La possibilité de découvrir le vignoble - qui se dit vườn nho en vietnamien, littéralement jardin (vườn) de raisin (nho) - de Phan Rang a été rendue possible grâce à Minh et Tam, un couple de trentenaires qui fait découvrir la région aux touristes étrangers et vietnamiens. Le déplacement s'est fait depuis Phan Rang à moto, et après 20 minutes de route, quelle ne fut pas ma surprise à la vue des premières parcelles de vignes ! Ces dernières, entourées de petites montagnes, sont plantées en pergolas. Les paysages viticoles sont donc très différents de ce que nous connaissons en Europe.

Outre le Cardinal, on cultive ici des raisins japonais et des raisins français, que j'ai pu observer, sans réussir à en savoir davantage sur les cépages précis. Certaines vignes sont visiblement cultivées à l'européenne, notamment pour la production destinée aux deux gros domaines cités plus haut, mais je n'ai pas eu l'occasion de les voir, si ce n'est en photo. Le climat sub-tropical de la région implique que la vigne ne connaît pas de période de dormance et donne, selon les cépages, entre 2 et 4 récoltes par an. L'espérance de vie de la vigne est donc fortement diminuée, pour atteindre généralement maximum 15 ans.

A la vue des premières vignes, Minh m'a proposé un arrêt sur une parcelle sur laquelle nous avions repéré des raisins. Nous avons été immédiatement accueillis par un jeune homme, propriétaire avec ses parents d'un domaine familial d'à peine de 2 hectares - une toute petite production donc. Une partie des raisins est utilisée sur place pour la production familiale. Nous avons pu voir les 'tonneaux' - en fait des contenants en plastique (voir photo ci-dessous) - dans lesquels les jus fermentaient. Une petite partie des raisins est vendue aux entreprises qui font du vin à Dalat.

Ce que nous avons pu goûter, assis à l'ombre des vignes et à la vietnamienne (i.e. sur de petites chaises en plastique) n'a rien à voir avec ce que nous produisons en Europe. J'ai pu déguster deux vins, un rosé et un rouge, qui s'apparentaient plus à du moût partiellement fermenté, voire en train de fermenter. De nombreux domaines produisent et vendent également du concentré de jus de raisin (mật nho). Ici le propriétaire nous l'a fait déguster avec du jus de kumquat, allongé de glaçons : c'était délicieux ! Vous pourrez remarquer sur les photos que nous avons fait la dégustation dans des gobelets en plastique. On est ici aux balbutiements de la viticulture, de l’œnologie et de l’œnotourisme, et c'est ce qui a fait le charme de cette visite.

L'architecture de Dalat reste marquée par le passé colonial de la ville. J'ai aimé arpenter la ville à pied pour y découvrir les anciennes maisons et villas coloniales. Certaines sont malheureusement en mauvais état, d'autres sont toujours habitées. Influences normande, basque, savoyarde... on se trouve parfois devant une vue qui nous paraît familière, et on en oublierait presque qu'on est à l'autre bout du monde... c'est un peu déroutant. Le lac situé au cœur de la ville lui donne d'ailleurs de faux airs de Bagnolles de l'Orne.

Des agences proposent des visites à moto de la ville et de la campagne alentours. Une expérience riche à vivre absolument, tant la région est différente du reste du Vietnam. Ces circuits permettent de découvrir l'agriculture et l'horticulture dans les campagnes environnantes, des temples et pagodes, de superbes chutes d'eau, des villages habités par des minorités ethniques...

Phan Rang offre de nombreux atouts touristiques, mais malgré cela, la région n'est pas très fréquentée, ni par les touristes étrangers, ni par les touristes vietnamiens. Une aubaine quand on souhaite sortir des sentiers battus ! Si vous aimez les belles plages de sable fin, vous serez servis : Phan Rang est une station balnéaire, qui accueille d'ailleurs chaque année les championnats du monde de kitesurf. A  quelques encablures de la ville, on peut se promener dans un magnifique parc national, découvrir un village de pêcheurs tapis au fond d'une magnifique baie... On peut visiter tout près du centre ville les ruines d'un superbe temple Cham. Phan Rang était dans le passé la capitale du peuple Cham - les Cham sont aujourd'hui une des 54 minorités ethniques qui peuplent le Vietnam. Si vous parlez anglais et souhaitez faire appel aux services d'une agence locale, je vous conseille de contacter Minh et Tam, qui sauront vous faire découvrir les sites remarquables de leur région et vous initier à la gastronomie locale. Ils m'ont emmené dans nombre de petits restaurants pour goûter les spécialités de la région - je me suis régalée !